Histoire

La colline du château des Clées est un site archéologique dont la période de première occupation est actuellement inconnue. La route du col de Jougne est un passage entre le nord et le sud de l’Europe depuis la préhistoire, reliant le nord de la France à l’Italie par le plateau Suisse puis le Grand St-Bernard de manière relativement sûre et rapide.

De la fin de l’époque romaine au 13ème siècle, la route de Pontarlier à Lausanne par Jougne et Les Clées est un des seuls itinéraires qui traversent le Jura entre Genève et Bâle. Le passage par les gorges sauvages de l’Orbe et le pont des Clées est d’autant plus important que le château assure la protection de Romainmôtier et des voyageurs sur la Via Francigena, la route des pèlerinages entre Canterbury et Rome.

London, British Library, Add MS 35321, folio 4v.: Giovanni Boccaccio, Des cas de nobles hommes et femmes, traduction de Laurent de Premierfait, Paris c. 1470
London, British Library, Add MS 35321, folio 4v.: Giovanni Boccaccio, Des cas de nobles hommes et femmes, traduction de Laurent de Premierfait, Paris c. 1470

La construction du bâtiment actuel

Les seigneurs des Clées profitent de cette situation et lèvent un péage pour traverser le pont gardé par leur forteresse. Autour de 1130, le Pape Innocent II s’inquiète de cet obstacle financier sur la route de Rome et enjoint l’évêque de Lausanne de ne pas permettre que le château soit reconstruit. Les raisons de la destruction de cette première forteresse sont inconnues.

Malgré l’injonction papale, la forteresse des Clées est reconstruite autour de 1150. Le profit généré par le péage est trop important pour que le site soit négligé. Le château est alors tenu en fief par des seigneurs vassaux des ducs de Bourgogne.

La donjon et la plupart des vestiges médiévaux sur la colline datent de cette époque. La forteresse comporte alors plusieurs enceintes concentriques qui entourent la colline et utilisent les falaises et escarpements naturels comme appuis et renforcements.

Elle comporte des fortifications avancées, probablement des douves sèches et un pont-levis, à l’emplacement des deux terrasses actuelles devant le château. On trouve aussi un puits dans cette fortification avancée. Ce dernier est comblé, mais la citerne qui l’alimentait et le conduit existent encore et sont visibles depuis les souterrains du château.

L’âge d’or

En 1260, le Château des Clées est remis avec d’autres terres à Pierre de Savoie en gage d’un paiement dû à la maison de Savoie par le comte de Genevois, vassal du Duc de Bourgogne. S’ensuivent deux siècles de prospérité.

Les foires de Champagne se tiennent six fois par année, durant une période d’un mois et demi chacune. Les Clées sont le passage le plus direct pour les marchandises d’Italie et pour celles achetées en Champagne à destination du sud. Au commerce s’ajoutent les pèlerinages.

Le péage profite à la maison de Savoie et aux habitants de la ville des Clées. Car Les Clées sont bien la plus petite ville de Suisse avec leurs 100 habitants, grâce aux franchises qui lui ont été accordées à cette époque. Au 14ème siècle la bourgade est plus vaste qu’à présent et compte une léproserie, un hôpital, une église, de multiples auberges, et de grands entrepôts.

La ville est d’autant plus prospère qu’en 1344, Louis II de Savoie achète la Vallée de Joux au seigneur de La Sarraz et l’annexe à la seigneurie des Clées. La ville est une source de revenu importante et la maison de Savoie s’assure que la forteresse est entretenue.

Universitätsbibliothek Heidelberg, Cod. Pal. germ. 848, p.361r.: Codex Manesse, Zürich, c. 1300 - c. 1340 (https://doi.org/10.11588/diglit.2222#0717)
Universitätsbibliothek Heidelberg, Cod. Pal. germ. 848, p.361r.: Codex Manesse, Zürich, c. 1300 – c. 1340 (https://doi.org/10.11588/diglit.2222#0717)

Les tabelles de péage donnent une idée de l’importance du commerce qui transitait par les Clées et le pont sur l’Orbe:

    • Laine d’Angleterre, draps de France, étoffes de Venise
    • Harengs
    • Sel, huiles
    • Vin
    • Acier
    • Faucons et autours dressés, chevaux, bétails
    • Froment et seigle

    Et la liste continue…

      La destruction

      Les guerres de Bourgogne marquent la fin de cette période de prospérité. Charles le Téméraire, duc de Bourgogne, mène une politique d’expansion de son duché et sa puissance inquiète ses voisins : l’empereur du Saint Empire, Frédéric III, le roi de France, Louis XI, et les confédérés suisses. En 1475, avec l’aide financière de Louis XI, les Suisses envahissent la Baronnie de Vaud, alliée du Duc de Bourgogne. 

      La garnison des Clées, sous le commandement de Pierre de Cossonay, est assiégée et refuse de se rendre. Le château et la ville sont pris par les Suisses et brûlés. Toute la garnison est executée.

      Le château des Clées. Luzern, Korporation Luzern, S 23 fol.: Chronique illustrée du Lucernois Diebold Schilling (Luzerner Schillling), p.188 (https://www.e-codices.unifr.ch/fr/list/one/kol/S0023-2)
      Le château des Clées. Luzern, Korporation Luzern, S 23 fol.: Chronique illustrée du Lucernois Diebold Schilling (Luzerner Schillling), p.188 (https://www.e-codices.unifr.ch/fr/list/one/kol/S0023-2)

      La période bernoise

      Ni la ville, ni le château ne se relèveront de la destruction par les Confédérés. Le château est laissé en ruine, mais les Suisses ne perdent pas de vue le revenu du péage, et entretiennent le pont et les entrepôts. De nouvelles tabelles de péages sont publiées, la ville des Clées est intégrée dans le baillage de Romainmôtier. Le château et la ville deviennent des lieux de seconde importance et peu de sources renseignent sur leur histoire entre 1475 et 1798.

      La Renaissance

      L’histoire du château, dont ne reste que le donjon et une tour, reprend en 1798, à la Révolution vaudoise. Le bâtiment devient alors propriété nationale. Il est vendu à un particulier en 1801 pour 400 francs et passe ensuite par plusieurs propriétaires. En 1831, Sir Walter Stevenson Halliday l’achète pour la somme de 800 francs.

      Sir Halliday a été séduit par le romantisme de cette ruine médiévale perchée sur une colline abrupte au-dessus d’une gorge sauvage. Il transforme le donjon pour le rendre habitable, notamment en perçant des fenêtres et en y faisant construire un escalier. Il aménage aussi la colline en parc.

        Plusieurs propriétaires se succèdent à nouveau, jusqu’en 1883, où le Château est acquis par la famille Pellis, alliée Conod, originaire des Clées. Jules Pellis, puis son fils Georges, modernisent le château, y amenant l’eau courante, puis l’électricité, et en y ajoutant des salles-de-bains creusées dans les murs de 3 mètres d’épaisseur !

        A l’exception de ces modifications nécessaires pour le confort d’une habitation moderne, l’intérieur du château reste remarquablement préservé tel qu’il a été aménagé et décoré au 19ème siècle.

        En 2003, le bâtiment et la colline sont reconnus site d’importance nationale et classés en note 1 à l’inventaire des Monuments Historiques.